L’alimentation du coureur : une nouvelle approche

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Déficit calorique intentionnel, désir d’un corps plus mince, comportement alimentaire troublé sont autant de maux qui affectent les performances, la récupération et la santé mentale des coureurs. Leur prévalence est au moins trois fois plus importantes dans le monde du sport. Voici mon investigation au cœur de troubles trop souvent passés sous silence.

Mon poste d’entraineur et mon activité d’étudiant chercheur en psychologie font que j’ai souvent l’occasion de discuter de sujets émotionnels avec mes athlètes. L’alimentation et l’acceptation de son corps sont des sujets qui reviennent tellement souvent qu’il me fallait écrire un article qui recense mes six derniers mois de travail sur le sujet.

Un sujet douloureux pour les athlètes et leur entourage que je vais aborder en détail dans cet article. Les troubles dont il est question ici ne concernent pas seulement les coureurs. Ce sont des problèmes de société qui sont toutefois surreprésentés chez les sportifs d’endurance.

Les troubles du comportement alimentaire, c'est quoi ?

  • Des habitudes alimentaires anormales.

  • Une préoccupation élevée pour les calories.

  • Une crainte intense de prendre du poids.

  • Une grande préoccupation par rapport à l'image corporelle.

Le trouble du comportement alimentaire est une vraie condition psychiatrique qui doit être pris en charge. Dans cet article, nous parlerons des dérèglements alimentaires qui touchent une grande partie de la population.

Si vous le souhaitez, commençons par ce test qui vous permettra de savoir si vous avez des comportements alimentaires à risque. (ne se substitue pas à l’avis d’un professionnel de la santé).

Quelques chiffres

  • 46.7% des athlètes auraient un trouble du comportement alimentaire clinique selon cette étude (versus entre 5% et 10% dans la population générale).

  • Les sports mettant l'accent sur l'atteinte et le maintien d'un poids faible sont les plus touchés par les troubles alimentaires (danse, judo, course de fond, natation et plongeon).

  • 32% des athlètes féminines universitaires pratiquaient des comportements de contrôle du poids délétères dans cette étude.

  • Finalement, cette étude a montré que parmi 93 coureuses élites, 13% avaient signalé des antécédents d'anorexie mentale, 25% des crises de boulimie et 35% des pratiques alimentaires désordonnées.

Mon expérience

Si j’écris cet article, ce n’est pas un hasard. En 2015, j'ai essayé de manger le moins possible pour m’approcher du physique d’un Kényan avec la ferme intention de courir plus vite et d’avoir l’air mince. Soyons transparents d’entrée de jeu, j’avais poussé le vice à l’extrême. Je jeûnais du samedi soir au lundi matin et je me pliais au jeûne intermittent le reste de la semaine.

J’avais également supprimé toute la nourriture transformée de mon alimentation (en plus d’être végan et sans gluten). J'étais persuadé que cela m’aiderait à maigrir, améliorerait ma santé ainsi que mes performances. Mais les chronos ne mentent pas. Cette saison-là ? J'ai fait la pire saison de cross-country de ma carrière. Pourtant il m’aura fallu des années pour le reconnaitre.

Quelques années plus tard, j’ai réalisé que ces comportements extrêmes avaient écourté mes saisons. J’ai alors commencé à manger davantage, plus varié et à prendre du poids. Les résultats ne se sont pas fait attendre : j’ai recommencé à progresser, à moins me blesser tout en pesant 4 kg de plus.

Toutefois, le plus grand bénéfice a été sur le plan psychologique. Mon moral, mon plaisir et ma qualité de vie se sont nettement améliorés. Je vous parle d’un vrai sentiment de libération. Celui qui consiste à renouer avec la simplicité de se nourrir et l’acceptation de son corps.

Les hommes ne sont pas épargnés

En 2020 une revue de la littérature a recensé les résultats de 80 études portant sur les comportements alimentaires troublés chez des athlètes hommes. La prévalence des comportements alimentaires troublés pouvait atteindre jusqu'à 32,5% des athlètes élites hommes. Il y a quelques mois, j’ai pris l’initiative de sonder 586 coureurs.se dont voici les résultats :

49.5% des coureurs auraient un risque moyen à très élevé de comportement alimentaire troublé

80% serait “obsédé” par l’idée d’être plus mince

86% auraient une terreur folle d’avoir des kilos en trop

77.4% sont obsédés par l’idée d’avoir de la graisse sur le corps

65.9% se sentent coupable après le repas

75.7% pensent aux calories qu’ils brulent quand ils courent

Conséquences d’un comportement alimentaire troublé

  1. Déficit calorique : le vrai problème

Commençons avec cette étude parue dans British Journal of Nutrition qui comparait l’apport énergétique entre un groupe de 7 coureuses très actives et un groupe contrôle. Les résultats ont révélé que :

  • Les participantes du groupe contrôle dépensaient 1745 kcal/jour pour un apport de 1786 kcal/jour (soit un équilibre)

  • Les coureuses dépensaient en moyenne 2620 kcal/jour pour un apport de 1974 kcal soit un déficit calorique de plus de 645 kcal/jour.

Dans la même veine, cette étude publiée dans Medicine & Science in Sports & Exercise portait sur 7 coureuses de cross-country universitaire très entrainées. Leur dépense énergétique moyenne était de 2990 kcal/jour pour un apport de seulement 2037 kcal/jour soit un déficit de 32%. Leur poids n'a pas changé au cours de cette étude sur 7 jours.

Un athlète peut avoir un poids stable alors que l’énergie disponible est pourtant trop basse. Il existe des mécanismes de compensation pour restaurer un certain équilibre énergétique.

De fait, lorsque les apports sont insuffisants, le maintien des fonctions primaires (organes, muscles lors d’une activité) se fait au détriment de celles plus secondaires (reproduction, croissance…). Un déficit calorique chronique peut réduire le métabolisme basal de 15 à 30%.

De plus, la sous-consommation de calories expose les coureurs au risque de contracter le syndrome du déficit énergétique. Un apport énergétique insuffisant peut réduire les performances sportives et même inverser tout effet bénéfique de l'entraînement. Le schéma suivant résume les conséquences d’un déficit calorique sur la performance sportive.

2. Risque de blessure accru

Une étude parue en 2008 a démontré que près de 50% des participantes coureuses était touché par une faible densité osseuse, augmentant ainsi considérablement le risque de fracture.

Ce schéma montre que les coureurs-se d’endurance sont davantage touchés par la faible densité osseuse que les autres athlètes.

3. Fatigue accrue

Un comportement alimentaire troublé peut mener à de hauts niveaux de fatigue notamment via le déficit calorique.

4. Santé mentale affectée

L’obsession envers la nourriture, son corps et les calories affecte l’équilibre psychologique de l’athlète. Cette étude publiée en 2001 a démontré que les coureuses d’endurances ayant développé un trouble alimentaire développaient davantage de troubles de santé mentale, avaient une estime de soi plus faible et une plus grande insatisfaction corporelle. Elles étaient également plus susceptibles d'avoir reçu un traitement pour la dépression ou l'anxiété.

5. D’autres problèmes de santé

La fracture n’est pas le seul risque, maintenir un déficit calorique sur de longues périodes aboutit à divers problèmes de santé en plus d’augmenter le risque de blessure (voir la liste). Une sous-consommation chronique de calories peut notamment affecter la fonction immunitaire, endocrinienne et musculo-squelettique.

Voici une liste complète des problèmes de santé liés à un déficit calorique :

La triade de l’athlète féminine : The Dark Triad

« The Dark Triad » a été évoqué pour la première fois en 1992 par l’American College of Sports Medicine. Il résume les conséquences de trois conditions malheureusement trop souvent présentes chez les femmes sportives :

  • Alimentation désordonnée : anorexie, purge, vomissements provoqués.

  • Aménorrhée : Absence temporaire ou définitive de menstruation chez la femme.

  • Ostéoporose : masse / densité osseuse faible.

Dans cette étude, seulement 28% des athlètes aménorrhées ont déclaré ne pas avoir de fractures de stress, contre 64% des coureuses menstruée. De plus, 50% des coureuses aménorrhées ont signalé de multiples fractures de stress, contre seulement 9% des non aménorrhées.

Les conséquences de la dark triade ont des répercussions à long terme, et ce même après la correction du déficit énergétique.

6. Performance à long terme diminuée

  • Un athlète blessé est un athlète qui ne progresse pas.

  • Un athlète qui est constamment en déficit calorique devra redoubler de force mentale pour trouver la motivation pour s’entrainer.

  • De plus, l’athlète se trouve pris dans une relation émotionnelle négative avec son sport qui devient alors une source de frustration et de souffrance.

Certains athlètes très maigres perfoment non ?

S’il est vrai que certains athlètes peuvent performer (parfois même avec un comportement alimentaire troublé), il semble peu probable de voir de tels athlètes perdurer dans le temps. La perte de poids entrainé par un déficit calorique peut, dans certains cas, engendrer une hausse de la performance. Toutefois, cette hausse est souvent temporaire et des systèmes complexes mêlant nutrition avancée, renforcement musculaire et suivi médical doivent être mis en place pour mener à bien cette quête risquée.

Il est très important de garder en tête qu’un corps façonné pour le haut niveau n’est pas toujours un corps en santé. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je conseille à mes athlètes de se remplumer entre les saisons. Finalement, à moins que vous jouiez une qualification olympique, s’efforcer à maigrir pour performer est la plupart du temps un pari très risqué.

Partie 2 : Comment en sommes-nous arrivés là ?

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