L’alimentation du coureur : une nouvelle approche

Suite de mon investigation au cœur des troubles de l’alimentation. Si vous n’avez pas lu la partie 1, c’est par ici. Dans cette deuxième partie, nous allons tenter de comprendre pourquoi les troubles de l’alimentation ont pris autant d’ampleur.

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Cette question à elle seule pourrait mériter une thèse de doctorat, je vais néanmoins vous apporter quelques éléments qui relèvent à la fois de recherches scientifiques, mais aussi de mon expérience terrain.

  1. Culture de la maigreur et grossophobie

Pour des millions d’humains, faire un régime est devenu un mode de vie.

Cette étude estime que 40% des Américaines essaient de perdre du poids.

Cette obsession nationale pour la perte de poids est nourrie par la valorisation démesurée sur le physique parfait et les pressions sociétales pour atteindre cet objectif ultime : un corps mince.

Il est alors courant de penser que les personnes en surpoids sont responsables de leur poids et devraient se sentir coupables en raison de leur manque de volonté.

Pourtant, cette recherche publiée en 2020 suggère 3 causes importantes à l’obésité :

  • L'alimentation émotionnelle peut être un mécanisme liant la dépression et le développement de l'obésité.

  • La durée et la qualité du sommeil.

  • Les gènes expliqueraient entre 60% et 80% de la variation totale de l'IMC.

Finalement, une question importante demeure :

Pourquoi les personnes en surpoids attirent autant de regards désapprobateurs comme en témoigne cette vidéo ? Je vous laisse le soin de la réflexion.

Le physique parfait : une question de point de vue ?

Comme le démontrent ces images, le corps idéal est très subjectif. Il varie d’une société à l’autre et d’une personne à l’autre.

Nous avons le choix de changer nos croyances et d’augmenter notre tolérance de ce qui est désirable ou non en termes de corpulence.

De plus, certains entraineurs encouragent fortement leur athlète à perdre du poids.

Alberto Salazar a notamment été montré du doigt dans l’affaire Mary Cain [I Was the Fastest Girl in America, Until I Joined Nike] dénonçant un système oppressant dans lequel les athlètes devaient porter une attention excessive à leur poids.

On y découvre notamment que les athlètes étaient invités à se peser devant tout le monde.

2. Maigrir pour courir plus vite : une fausse croyance ?

Si les personnes en surpoids peuvent effectivement améliorer leur chrono en perdant quelques kilos, cette réalité ne semble pas s’appliquer aux coureurs déjà minces.

C’est d’ailleurs une question que l’on me pose souvent :

Qu’en dit la science ?

En 2020, une étude portant sur 32 coureurs élites kényan (femmes et hommes) a tenté de répondre à cette question.

Cette étude a démontré qu’un niveau de graisse corporelle plus bas n'était pas associé à une meilleure performance.

Les performances des trois meilleures femmes (WR plus environ 10%) n'ont pas non plus montré de lien avec leur taux de masse graisseuse.

Conclusion ? Différents athlètes élites peuvent avoir des besoins distincts en termes de masse graisseuse pour optimiser leurs performances individuelles.

Traduction : La graisse corporelle ne doit pas seulement être considérée comme un poids mort, il faut comprendre des niveaux de graisse extrêmement faibles peuvent être désavantageux pour la santé et les performances.

Finalement, gardez en tête que le poids et l’IMC (Indice pondéral calculé en divisant le poids d'une personne par le carré de sa taille) sont des métriques limitées.

  • Deux athlètes avec le même IMC peuvent avoir des niveaux de performances totalement différents.

  • Le même athlète avec le même poids/IMC peut avoir un niveau de performance différent.

  • Il faut considérer la composition corporelle, car ce sont vos muscles qui vous font avancer.

  • C’est pour cette raison que je recommande aux coureurs d’éviter de se peser.

Exemple: un même coureur pesant 65 kg avec 15% de masse musculaire dans les quadriceps pourrait courir plus vite qu’à 62 kg avec 12% de masse musculaire dans cette même zone.

⚠️ Attention à l’inférence arbitraire ⚠️

On le fait tous, mais c’est un biais cognitif dangereux.

Cela consiste à tirer des conclusions hâtives à partir de peu d'évidence.

Des conclusions qui sont souvent influencées par nos croyances, celles qui consistent par exemple à croire qu’il faut maigrir pour courir plus vite.

« Si Julie court aussi vite, c’est parce qu’elle est très maigre. Je vais donc essayer de maigrir pour courir plus vite »

  • Quelles preuves avons-nous de cette affirmation ? Aucune.

  • Comment être sûr que Julie n’atteindrait pas des résultats similaires, voire meilleurs avec un poids plus élevé ? Nous ne pouvons pas.

3. Le corps parfait pour courir est un mythe

On lit parfois qu'il y aurait un type de corps parfait pour courir.

À ce jour, aucune étude à ma connaissance n'a permis de tirer de telles conclusions.

Même au plus haut niveau, vous verrez toutes sortes de coureurs, coureuses réussir.

Chez les hommes :

  • Alan Webb : 3:46.91 (Mile)

  • Jakob Ingebrigtsen : 3:28.68 (1500m)

  • Kipchoge 2:01:39 (marathon)

Chez les femmes :

  • Andrea Seccafien : 14:59.95 (5000m)

  • Genzebe Dibabab : 1:05:18 (semi)

  • Konstanze Klosterhalfen : 8:20.07 (3000m)

Le corps parfait ne peut se voir avec notre regard d’humain.

C'est vrai, les athlètes les plus rapides sont plutôt maigres, mais nous parlons ici du plus haut niveau.

Au niveau national, les différences sont encore plus marquées.

Il y a des tonnes de coureurs rapides avec des corps très différents.

Des petits, des grands, des musculaires, des petites jambes, des grandes jambes.

Penser qu'il faut avoir un certain type de corps pour progresser, relève de la croyance.

Si quelqu'un vous a dit que vous étiez trop grand, trop gros, trop maigre ou que sais-je encore ?

Ne vous laissez pas influencer et entrainez-vous comme si vous aviez le plus grand talent du monde.

Montrez aux autres qu'il y a d'autres façons de faire et que vous êtes fier de votre corps.

4. Les commentaires sur le physique

Corey Bellemore est un coureur canadien avec un record de 3:39 au 1500m.

Son histoire démontre que les troubles alimentaires touchent aussi les hommes.

Dans cet article paru dans Running Magazine, il raconte comment ses partenaires d’entrainement - probablement sans mauvaises intentions - le décrivaient comme un “big runner” (coureur grand format).

Corey revient sur le jour où l’un de ses partenaires d’entrainement lui a dit qu’il était sûrement trop grand et trop lourd pour courir au niveau international, et qu’il serait plus facile pour lui de perdre 5 kg s’il voulait devenir un meilleur coureur.

Depuis ce jour, j’ai pensé à perdre ce poids. J’essayais de me façonner un type de corps qui m’était impossible. Je n’écoutais ni moi ni mon corps. J’écoutais tout le monde autour de moi.
— Corey Bellemore

La morale de cette histoire ? Faisons attention aux remarques sur le physique du type :

  • "Wow tu es vraiment maigre, tu as l'air en shape"

  • “Tu as peut-être quelques livres de trop non ?”

  • “Check tes mollets ils sont vraiment développés !”

5. La comparaison sociale

Se comparer à des personnes de son sexe, de son âge, ou à un archétype imaginaire peut-être destructeur.

Un exemple classique ?

Souhaiter des mollets de Kényan quand on est caucasien.

Ces comparaisons répétées peuvent mener à de la dysmorphophobie.

La dysmorphophobie se caractérise par des pensées excessives et une obsession d'un défaut imaginaire ou d'un petit “défaut” physique, dont la perception de la personne est complètement démesurée.

La personne atteinte de dysmorphophobie a une mauvaise image d'elle-même qu’elle veut changer.

De plus la personne se persuade que son “défaut” est la cause de tous ses maux.

“Si je ne cours pas aussi vite, c’est parce que j’ai de gros mollets”

(vous pouvez remplacer les mollets par n’importe quelle autre partie du corps).

6. Les croyances erronées sur la santé

Il n’y a pas si longtemps, j’étais, comme une majorité, persuadé que les personnes avec de l’embonpoint étaient forcément en mauvaise santé.

Je pensais que la minceur était synonyme de bonne santé.

Force est de constater que je me trompais.

Il semble qu’un poids trop faible soit davantage dangereux pour la santé qu’un surpoids pondéral.

Il est vrai que certaines études ont démontré que le poids pouvait dans certains cas être associé à une augmentation des risques de santé notamment cardiovasculaire, toutefois cette réalité est plus complexe.

Il faut dissocier la graisse sous-cutanée qui cause peu de problèmes de santé, de la graisse viscérale.

La graisse viscérale est stockée au niveau de la taille et peut entourer des organes vitaux comme le pancréas, le foie et les intestins.

La graisse viscérale ne représente qu'environ 10% de la graisse corporelle, mais une étude de 2016 publiée dans Journal of the American College of Cardiology a révélé que l'augmentation de la graisse viscérale peut aggraver les facteurs de risque de maladie cardiaque, tels que la pression artérielle, la glycémie et le total taux de cholestérol.

En résumé, vous ne pouvez pas juger de l’état de santé d’un humain par le simple regard.

Il serait peut-être temps de changer le code couleur du BMI qui peut porter à confusion.

Ne trouvez-vous pas intéressant que les valeurs de BMI élevées soient représentés par des couleurs chaudes ?

7. L’orthorexie : l’obsession pour les aliments santé

L’orthorexie est un phénomène récent qui semble toucher de plus en plus de personnes.

C’est un comportement caractérisé par l’obsession d’une alimentation saine.

De nombreux coureurs déploient de grands efforts pour manger des aliments exclusivement “santé” et non transformés.

Cette obsession pour la nourriture peut augmenter vos chances de développer un comportement alimentaire troublé.

8. Emballement pour les diètes restrictives

Connaitre toutes les diètes existantes est devenu un défi en soi.

Végan, paléo, cétogène, low carb, bref, vous le savez, la liste est longue.

Selon moi cette tendance témoigne d’une quête de vérité alimentaire.

Nous sommes souvent perdus avec les nombreux messages divergents sur ce sujet complexe.

Mon conseil ? Élargir son répertoire alimentaire plutôt que de le restreindre.

Je ne compte plus le nombre d’athlètes qui viennent me voir en me demandant si telle ou telle diète les aidera à mieux récupérer, performer, etc.

Lorsqu’on se tourne vers la recherche, il est intéressant de constater qu’il existe très peu de preuves scientifiques démontrant qu’une diète plus qu’une autre augmente la performance chez les sportifs d’endurance.

Diminuer son répertoire alimentaire peut avoir des conséquences psychologiques.

Trop intellectualiser son alimentation peut créer de l’obsession et de la confusion, voire de la détresse alimentaire.

Diminuer son répertoire alimentaire peut également avoir des conséquences physiologiques.

Le régime végétalien peut par exemple causer des carences en fer, calcium, etc.

Cette étude portait sur 30 coureurs végétaliens :

Les chercheurs ont montré que leurs apports caloriques étaient inférieurs aux niveaux recommandés, ainsi que leurs apports en protéines, vitamine D et sélénium.

De plus, 80% des participants ne consommaient pas assez de calories pour soutenir leurs besoins métaboliques quotidiens (ils consommaient en moyenne 2219 kcal alors qu'ils avaient besoin d'au moins 2554 kcal).

Selon les chercheurs, ce trop faible apport énergétique serait causé par la forte teneur en fibres et la faible teneur en calories des régimes végétaliens.

Que dire du nouveau régime cétogène ?

Je n’ai trouvé aucune étude scientifique crédible qui puisse démontrer ses bienfaits. Son adhérence relève alors possiblement de croyances et d’un éventuel effet placebo.

Partie 3 : Conseils pour reprendre du plaisir à manger et lâcher prise.

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