Dans la tête de l’olympien Charles Philibert-Thiboutot
Je suis très excité de vous présentez une entrevue exclusive avec Charles Philibert-Thiboutot, Olympien au 1500m aux Jeux de Rio 2016 et coureur professionnel québecois. Vous allez découvrir un athlète qui a eu une ascension spectaculaire !
Ce qui me fascine dans l’histoire de Charles, c’est que rien ne laissait présager un tel destin. En effet, durant son adolescence, Charles s’impliquait dans plusieurs sports comme le soccer, mais plutôt de façon récréative. Ce n’est qu’à l’âge de 16 ans, qu’il réalise que son talent en course d’endurance serait sa meilleure chance de frapper à la porte du haut niveau. Il s’inscrit alors dans le club d'athlétisme de l'Université Laval, une décision qui va changer sa vie.
Charles va ensuite connaitre une ascension spectaculaire sur le circuit universitaire canadien, avec de multiples titres de champion provincial et canadien, en athlétisme et en cross-country.
« Embarquer dans l'aventure qu'est l'athlétisme m'a déjà mené bien plus loin que je ne l'aurais imaginé. Ce sport me permet aujourd'hui de faire partie d'équipes nationales, de faire des rencontres inoubliables et de voyager autour du monde pour courir. »
- Charles Philibert-Thiboutot
RECORDS
En 2015, après avoir couru 5 ans pour l’université Laval, tu décides de passer pro, comment as-tu vécu cette transition ?
L’aspect de l’esprit d’équipe, de faire partie d’un tout plus grand que soi, de partager le quotidien avec des coéquipiers est définitivement quelque chose qui me manque énormément de courir au niveau universitaire. Je suis de manière avide les championnats Usport de cross-country à chaque année, et ça me fait toujours un pincement au cœur de ne pas pouvoir revivre ses sensations dans un contexte de course à pied. Toutefois, même si j’adore l’aspect d’équipe que l’on peut retrouver au niveau universitaire, cela ne représente pas quelque chose de nécessaire pour l’atteinte de mes objectifs actuels et je vis très bien sans.
Quel a été le tournant de ta carrière ?
Après avoir couru 3:38 à plusieurs reprises en 2014, je savais que je cognais à la porte de l’élite mondiale, et que de passer au niveau supérieur (international et olympique) serait quelque chose de possible, au-delà d’un simple rêve. Pour la première fois, je contemplais sérieusement comme plan de carrière de m’entraîner à temps plein suite à ma graduation qui était prévue en 2015.
De quelle performance es-tu le plus fier ?
La course à Monaco en 2015 a définitivement changé ma vie. J’ai pu me servir de cette performance comme tremplin pour devenir un athlète professionnel, vivre confortablement du sport, et accumuler de l’expérience internationale dans les années suivantes soit dans des championnats ou d’autres courses sur invitation.
Laquelle de tes performances t’a le plus surpris ?
Toujours à Monaco en 2015. C’était de loin la course la plus prestigieuse à laquelle j’avais pris part dans ma vie. Je savais que j’étais en forme, et que plusieurs fois je n’étais pas capable de surpasser mon record personnel parce que le niveau de compétition n’était pas assez élevé, alors je n’avais plus d’excuse.
Je savais aussi que c’était une chance incroyable de me faire valoir, mais que, à même titre, si je faisais une contre-performance, je me ferais surement bloquer des compétitions de ce niveau dans le futur. Une lame à double tranchant. J’étais encore un inconnu sur le circuit et de m’échauffer pour une course avec Asbel Kiprop, Matthew Centrowitz, Nick Willis, Taoufik Mahkloufi, Elijah Managoi, Henrik Ingebrigsten, Leo Manzano, Moh Farah, ce fut tout un choc.
Niveau mental et malgré tous ces éléments, je suis resté extrêmement focus sur la tâche que j’avais à accomplir. J’avais analysé les courses des années précédentes pour me faire un plan de positionnement par rapport au rythme de la course. Je savais que ce que je faisais à l’entrainement était très fort, alors je me répétais toujours:
« Tu as beau être à Monaco, si tu fais ce que tu fais 3x par semaine sur la piste à Québec, ça va bien aller, c’est comme une pratique ».
J’ai aussi chassé le complexe de courir avec des vedettes et des figures inspirantes en me disant que si j’étais dans la course, c’est que je méritais ma place autant qu’eux. Ils ne sont plus mes idoles, ils sont maintenant mes égaux et je dois faire mon possible pour les battre.
Le talent fait souvent débat dans le monde de la course, certains coureurs élites comme Julien Wanders pensent que “l’avantage génétique” des Africains est surestimé. Qu’en penses-tu ?
Je suis, jusqu’à une certaine limite, de son avis. Je crois que les Nord-Américains préfèrent s’adonner à d’autres activités et sports, ce qui fait en sorte qu’on ne voit pas autant de talent en course à pied qu’en Afrique de l’est. Cependant, si la course à pied était notre seule activité possible à pratiquer, comme c’est le cas dans cette région du monde, il y aurait beaucoup plus de québécois et de canadiens sur la scène internationale. Les athlètes de l’Afrique de l’Est courent aussi dès un très jeune âge, et toute leur vie ils sont conditionnés à la course à pied. Ce n’est pas du tout le cas dans la société occidentale.
As-tu des rituels la semaine avant un événement important?
Je n’ai plus de rituels depuis longtemps mis à part une routine d’échauffement que je performe avant un entraînement d’intervalle ou une course. Tous les autres éléments comme le sommeil, la nutrition ou les croyances sont facilement défaites quand on voyage beaucoup et on passe du temps sur le circuit de compétition. Les hôtels, les heures de voyagements et la nutrition sont souvent hors de notre contrôle, et je suis d’avis que d’avoir une routine trop stricte sur ses aspects qui peuvent facilement être dérangés peut avoir un effet déstabilisant et éventuellement dévastateur sur la performance.
Quels étaient tes objectifs à tes débuts et quels sont ceux qui te motivent présentement?
Je suis plus un individu qui aime se donner des objectifs court terme. Bien qu’il y ait toujours des objectifs long terme (comme par exemple les Jeux olympiques en 2021) j’aime me donner des objectifs moins importants et proportionnels à mon niveau de forme dans ma trajectoire vers cet objectif long terme. Cela me permet de toujours me donner une rétroaction sur ce qui est accompli dans le moment présent, et on est mieux en mesure d’ajuster le tir si quelque chose ne va pas en cours de route.
Récemment tu déclarais « La course à pied est un sport extrêmement dur sur le physique », penses-tu qu’il y a eu d’autres facteurs qui expliquent tes blessures ?
La raison numéro 1 pour laquelle il y a très peu d’athlètes de niveau international au-delà de 25 à 30 ans est les blessures. Ce n’est pas facile de repousser les limites de son corps sur une base quotidienne; il est encore plus difficile de retrouver un haut niveau suite à un cycle de blessures. Certaines personnes ont déjà beaucoup de difficulté, au niveau motivationnel, de bien s’entraîner même quand tout va bien et le corps se sent bien. La blessure devient vraiment un réel test de motivation pour un sport qui est déjà sans pitié sur le corps. La cause des blessures en course à pied est, selon moi, à 95% reliée sur la biomécanique et la gestion du stress mécanique.
Comment gères-tu ces périodes difficiles (blessures) ? As-tu déjà pensé à arrêter la course?
Il est important d’avoir un bon entourage qui nous supporte, parce que ça peut devenir assez déprimant quand les blessures sont à répétition. Je vis beaucoup de rage et de peine, mais ultimement, je sais que je dois me recentrer et me concentrer sur ce que je peux contrôler pour passer à travers de la blessure. Je me remémore mes bons moments (mes records personnels, médailles internationales) ou encore à quel point j’ai retrouvé la forme rapidement suite à des blessures dans le passé pour rester motivé. Tant que j’ai cette certitude intrinsèque que je puis encore et toujours surpasser mes résultats passés si j’en ai la chance (ici, lire, avec plusieurs mois sans blessure), je vais être en mesure de me relever d’une phase «aigue» de dépression qui peut survenir quand rien ne vas. Il ne va pas sans dire que j’ai songé plusieurs fois à si je devais arrêter la course, mais à chaque fois, je me suis posé la question : «si ça va bien, peux-tu faire mieux que tes PBs actuels, et tes résultats actuels?» dans mon cas, la réponse a toujours été oui, et c’est ce qui a fait que j’ai pu reprendre le dessus dans des moments très difficiles.
Qu’est-ce que t’ont appris ces blessures?
Les blessures m’ont appris à être extrêmement résilient et à ne pas prendre pour acquis de bons résultats ou des expériences reliées à la course (comme des voyages ou des équipes nationales). Les périodes de blessure nous ont également fait questionner nos méthodes, et après plusieurs essais et erreurs, nous avons été toujours en mesure de ressortir d’une période difficile avec des apprentissages sur le coaching, la nutrition, la psychologie, la thérapie ou encore la préparation physique. Il est très important de toujours se remettre en doute quand ça ne va pas, pour ne pas commettre encore une fois les erreurs du passé.
Quelle part devrait prendre la santé mentale dans la préparation sportive?
Elle est très importante. Tout le monde a besoin d’un « safe space » mental qui fait en sorte qu’on se sent bien en dehors du sport. Un espace qui peut être influencé par l’entourage, le milieu de travail, les études, la santé physique, les relations amoureuses, la pression personnelle ou sociale, l’anxiété, etc. Il faut que chaque personne soit en mesure, selon moi, d’établir les paramètres qui font en sorte que la santé mentale sera à son meilleur. C’est seulement avec l’optimisation de cet espace mental qu’une personne pourra débloquer le maximum de son potentiel physique. C’est très propre à chacun; par exemple, certaines personnes qui sont très compétitives vont être dans un excellent espace mental quand ils seront testés et confrontés; d’autres tempéraments, plus anxieux, aimeront mieux minimiser les stimuli à base de performance avant de courir. Certains voudront des objectifs tangibles en chiffres et en position; d’autres préfèreront des objectifs basés sur des sensations personnelles. Il revient à chaque athlète de connaître son «espace mental» optimal pour aller chercher le meilleur de lui-même. Si la santé mentale n’est pas à 100%, il devient difficile de puiser le maximum de motivation dans un sport d’endurance qui est déjà très demandant au niveau mental.
La frontière entre peak shape et « burnout » est souvent mince, as-tu des conseils pour ne pas tomber du mauvais côté ?
Considérer chaque moment de repos aussi important que l’entraînement est le meilleur moyen de balancer un «peak» et de récupérer au maximum entre des séances physiquement éprouvantes.
Penses-tu que ton entourage a été une clé dans ta réussite?
Absolument, 100%. Je ne serais rien sans la somme de mon entourage. J’ai un support moral très important avec ma femme, ma famille et mes amis; j’ai aussi un «support team» de feu avec mon entraîneur, mes physiothérapeutes, mon préparateur physique ainsi que mon nutritionniste, qui travaillent tous de concert pour optimiser mes performances. La communication est très bonne au sein de l'équipe, et tout le monde respecte le champ de compétence des autres.
Vois-tu un psychologue du sport ?
Oui, j’ai vu des psychologues à quelques reprises, pas nécessairement pour la course. Mais, comme discuté plus tôt, l’espace mental est très important et la psychologie, bien qu’elle puisse viser certains aspects de la vie qui ne sont pas reliés à la course à pied, va ultimement va avoir un effet sur ma santé mentale globale et, du coup, sur mes performances.
Et la préparation mentale ?
Je n’ai pas de problème avec la préparation mentale par rapport à une course où à la performance. C’est probablement une de mes plus grandes forces en tant qu’athlète; il en revient toutefois à chacun de voir comment on le gère et comment on peut l’optimiser. Certaines personnes auraient grandement intérêt à travailler leur préparation mentale. Je suis littéralement motivé par l’esprit de compétition, le désir de devenir un des meilleurs coureurs au monde ainsi que les sensations qui viennent quand on gagne une course. L’adversité sur la piste est probablement ma plus grande source intrinsèque de motivation pour pratiquer le sport, ce qui fait que je suis toujours un peu sous une préparation mentale optimale quand il vient le temps de courir.
Beaucoup d’athlètes rêvent secrètement de faire les JO, à quel âge as-tu commencé à y penser ?
Il faut, selon moi, viser d’être la meilleure version de soi-même en tant qu’athlète, jusqu’à être à quelques secondes du standard olympique. Essayer de viser cet objectif si on n’est pas du tout rendu à ce stade dans notre développement peut être contre-productif. J’ai commencé à y croire en 2014 après avoir couru 3:38.
As-tu des modèles ? Des gens qui t’inspirent ?
Sebastian Coe est un modèle pour moi, de par son succès sur la piste, son charisme qui l’a toujours défini ainsi que ses ambitions qui allaient bien au-delà d’une carrière sportive. Je dirais aussi que Michael Jordan m’inspire beaucoup par sa compétitivité et sa capacité à tout donner, être à 100% sans relâche pour être le meilleur et gagner.
Aujourd’hui, ça fait 10 ans que tu t’entraines sérieusement, as-tu des regrets ?
Ne pas prendre pour acquis les performances à un très haut niveau, beaucoup de choses font en sorte que de rester à ce niveau est très difficile (dans mon cas, les blessures). Avec une meilleure compréhension du professionnalisme requis pour rester en santé et compétitif sur la scène internationale sur le long terme, peut être qu’on aurait pu gérer des aspects de mon environnement avec une vision plus long terme de haute performance et rechercher une meilleure constance.
Tu te vois ou dans 10 ans ?
Avec une famille et actif dans beaucoup d’autres sports autres que la course à pied! Je veux m’assurer toutefois de garder un rôle dans le monde de l’athlétisme et m’impliquer pour redonner au sport, même si je ne pense plus que ce sera le centre de ma vie.