Les coureurs ne s’aiment pas assez
Pour réussir en course à pied, il faut être « tough », serrer les dents et souffrir en silence. Ça, je l’ai entendu tellement de fois chez les coureurs. Et pourtant … oui la course à pied nécessite d’être fort mentalement, mais jamais au détriment de l’auto-compassion.
Après plus d’un an de coaching privé et des dizaines d’entrevues, j’en suis arrivé à une conclusion simple :
L’auto-compassion est cruciale pour réussir en course à pied.
90% des coureurs en manquent.
L’auto-compassion ?
C’est la capacité à se donner de l’amour et à se traiter avec bienveillance, particulièrement dans les moments difficiles.
Contrairement à une idée reçue, cette étude a montré que le manque d’auto-compassion touche autant les athlètes élites que les amateurs, et cette étude que les hommes auraient des niveaux d’auto-compassion légèrement plus élevés que les femmes.
Curieux de connaitre ton niveau d’auto-compassion ? Fais le test.
Le souvenir de Pierre :
« Clairement le Marathon de Boston était une terrible expérience. J’avais réalisé mon PB en 2h45 mais mon objectif était 2h42 et j’étais convaincu de pouvoir le faire. Dans les 10 derniers km, je me sentais fatigué, et j’ai commencé à ralentir.
Au lieu de sourire et de réaliser que j’étais proche de la fin et de mon objectif, je commence à douter et à devenir très négatif. Je me dis que je manque d'entrainement et que j’aurais du m’entrainer plus fort les semaines passées. J’en viens même à penser que je ne suis pas fait pour la course … en résumé, je broie du noir.
Je vois le temps passer et mon pace diminue encore et encore. Je me répète alors en boucle que je n’y arriverai pas et que j'ai dû mettre la barre trop haute.
Je ne suis pas encore rendu là, courir sous 2h42, c'est pas moi, je ne suis pas capable... J'ai le goût de marcher et je dois réellement me parler pour continuer à avancer. Vraiment pénible. Quand j'ai vu le chrono à la ligne d'arrivé, c'était la déception, j’avais envie de m’effondrer. »
Quand je rencontre un athlète pour la première fois, je commence toujours par lui demander d’écrire une expérience difficile en lien avec la course. 90% du temps, l’athlète est vraiment trop dur envers lui-même. Le souvenir de Pierre en est un parfait exemple, nous y reviendrons plus tard.
L’auto-compassion devient vraiment populaire
Depuis 2008, l’intérêt pour l’auto-compassion connait un hausse surprenante. Et c’est une excellente nouvelle qui démontre que nous semblons avoir (enfin) pris conscience du manque de compassion dans notre société. Tout doucement, nous sortons de l’obsolète « No pain no gain » !
L’auto-compassion permet d’accepter les expériences difficiles
Dans son souvenir, Pierre revient sur son marathon de Boston et raconte qu’il a manqué son objectif par 3 minutes. Il commence alors à se blâmer pour son manque de talent et de courage. À l’évidence, Pierre ne semble pas être en paix avec cette expérience.
La première chose à comprendre, c’est que notre capacité à digérer le passé influence notre présent.
Je m’explique: toutes les expériences importantes que nous vivons sont stockées en mémoire. Certaines expériences sont positives, elles sont donc faciles à accepter et d’autres sont négatives, donc plus difficiles à accepter.
Les expériences passées qui sont stockées sous forme de souvenirs sont constamment activées en mémoire, et le plus fou, c’est que ça se passe sous sans que nous en ayons conscience. Concrètement, après son marathon, un souvenir est créé dans la mémoire de Pierre, et il sera activé des milliers des fois.
Si Pierre ne parvient pas à accepter son marathon décevant, il sera condamné à vivre de l’anxiété, de la honte ou du rejet à chaque fois que son souvenir s’activera en mémoire.
Maintenant, il faut imaginer qu’un seul souvenir peut s’activer des milliers de fois, sans même que vous en ayez conscience. Au bout de plusieurs années, ces milliers d’activations vous affectent.
Conséquences de ces activations ?
Perte de concentration (vous êtes moins dans la zone).
Perte de confiance, des doutes.
Des émotions négatives comme de l’anxiété ou de la honte.
Diminue votre bonheur et vos relations sociales.
En course à pied, les épreuves difficiles font partie du quotidien: un mauvais entrainement, une course décevante, c’est impossible à éviter. Il demeure toutefois indispensable de faire la paix avec son passé. Et l’auto-compassion peut vous y aider ;)
L’auto-compassion pour apprendre de ses échecs
Les athlètes avec peu d’auto-compassion ont une relation compliquée à l’échec.
En séance de coaching, j’ai pu observer le schéma suivant tellement de fois :
L’athlète s’inscrit à un marathon —> Il n’atteint pas son objectif —> Il se critique abondamment —> Son incapacité à accueillir sa déception renforce les croyances négatives “Tu vois je suis incapable”.
C’est une spirale infernale.
L’échec est le moteur de la progression et de la performance À CONDITION que vous appreniez de ces échecs.
Retenez le paradoxe suivant : pour viser la perfection, il faut accepter d’être imparfait.
Les autres bienfaits de l’auto-compassion
L’auto-compassion à d’autres bénéfices chez les athlètes:
Des études ont montré que l’auto-compassion permettait de réduire les troubles alimentaires.
L’auto-compassion permet de mieux gérer le stress et l’anxiété (une étude).
Elle augmente le bien-être psychologique et physique (cette étude sur le bonheur).
En course à pied, cela signifie :
Amélioration de la récupération via les émotions positives: un athlète heureux récupère mieux.
Moins de blessures car l’athlète écoute son corps et en prend soin.
Amélioration de la performance via un mental plus positif.
Progression rapide et durable en apprenant de ses erreurs/échecs.
Plus de plaisir en course à pied.
L’auto-compassion: 50% du profil parfait ?
Dans mon précédent article sur les 10 techniques mentales pour réussir le jour J, je vous parlais du mindset parfait qui allie auto-compassion et « mental toughness » (la force mentale).
Et quelle coïncidence de tomber sur cet article qui conforte pleinement cette idée. En effet, ce papier montre que l’auto-compassion et la force mentale semblent non seulement compatibles, mais surtout indispensables pour réussir pleinement dans son sport.
La raison est simple :
L’auto-compassion est indispensable pour digérer les expériences difficiles, par exemple les échecs, mais aussi pour rester positif et persévérer lorsque la douleur en course se fait ressentir.
La force mentale est quant à elle indispensable pour se motiver au quotidien, ou durant une course . Elle s’apparente à ce qu’on appelle la « niaque », soit cette envie de réussir et d’atteindre des objectifs difficiles.
Mon expérience m’a montré que les athlètes qui possèdent ces deux traits de personnalité sont extrêmement rares. Conjuguer ces deux capacités requiert une grande flexibilité mentale, car nous pensons souvent à tort qu’elles sont incompatibles.
D’où vient le manque d’auto-compassion ?
Les croyances véhiculées depuis notre enfance
« No pain no gain. »
« Il faut souffrir pour être belle. »
« T’es une mauviette ou quoi ? »
Ces croyances étaient valorisées par les adultes (nos parents, nos professeurs), nous les avons donc intégrées par imitation.
2. Le manque durant l’enfance
Vous avez ressenti un manque d’amour, ou d’acceptation dans votre enfance.
Vous avez vécu du rejet.
Vous avez ressenti un manque d’encouragement et de fierté.
Vous avez ressenti de la pression et un manque de contrôle sur votre vie.
Dans mon travail avec les athlètes, j’ai constaté que lorsque ces besoins ont été frustrés, cela mène à de nombreux conflits psychiques, et des comportements nuisibles qui impactent l’athlète au delà de son sport.
3. Un manque de pratique
L’auto-compassion étant peu valorisée, nous n’avons pas appris à cultiver cet amour envers nous même.
L’auto-compassion s’apprend rapidement
En 2013, des chercheurs ont mené une intervention d’auto-compassion sur des athlètes féminines universitaires afin de voir si elle augmenterait l’auto-compassion, et diminuerait la critique envers soi, la rumination (rester focus sur ses échecs), et les inquiétudes face à l’erreur.
29 athlètes étaient assignés au groupe expérimental (l’intervention) et 22 athlètes au groupe contrôle.
L’intervention durait 7 jours et comportait deux volets :
Une série de cours sur l’auto-compassion
Des ateliers d’écritures dans lesquels les athlètes devaient réfléchir, et à élaborer sur leurs expériences difficiles.
À l’issue des 7 jours, l’intervention d’auto-compassion a été un vrai succès et avait augmenté l’auto-compassion chez ces athlètes, diminuer l’auto-critique, la rumination après un échec, et les inquiétudes face à erreur.
7 jours d'entrainement à l'auto-compassion
Comment pratiquer l’auto-compassion ?
Apprendre l’auto-compassion est comme n'importe quelle autre compétence. Voici un de mes exercice favoris :
Choisissez un souvenir douloureux, non accepté, dans lequel vous avez été dur avec vous-même.
Maintenant, imaginez que c’est un de vos meilleurs amis qui a traversé cette situation difficile.
Comment soutiendriez-vous votre ami? Que diriez-vous?
Maintenant appliquez le vous.
Vous pourriez dire :
« Je suis tellement désolé, cela semble horrible. »
« Ce n'est pas ta faute. Tu n’es pas une mauvaise personne. »
« Tu n'es pas seul. Cela montre que tu es humain, comme le reste d'entre nous. »
« Je suis là pour toi. »
« Comment puis-je être utile? »
5 exercices que je fais avec athlètes
Dans mes séances de coaching, j’utilise diverses méthodes dépendamment de l’athlète.
Déconstruire les mythes sur l’auto-compassion: ce n’est pas de l'égoïsme, du narcissisme, une faiblesse ou de l’apitoiement.
Des guides audios : allongez-vous et laissez-vous guider.
L’écriture d’une lettre à soi-même en élaborant sur ses qualités, et des réalisations dont on est fier.
Comprendre l’origine du problème. Certains souvenirs n’ont pas été digérés. Il est donc nécessaire de réinterpréter le passé pour être en paix avec le présent.
Pardonner. Certaines personnes gardent en eux une réelle colère (qui cache souvent de la tristesse). Le pardon est une stratégie très efficace pour dissiper cette colère. Pardonner aux autres, mais aussi à soi.
Les points à retenir
Le manque d’auto-compassion est omniprésent dans la société et dans le monde du sport.
Ce manque touche autant les élites que les amateurs, les femmes que les hommes.
Les athlètes doivent apprendre la flexibilité mentale qui permet de jongler entre (1) l’auto-compassion et (2) la force mentale.
La force mentale est utile pour le maintien de la concentration, la persévérance et la résistance à la douleur.
L’auto-compassion favorise également la persévérance, prévient les abandons, permet d’accepter les expériences difficiles, d’apprendre de ses échecs, et de progresser à long terme.
La première étape consiste à se convaincre de l’importance de l’auto-compassion.
Puis quelques semaines d’exercices suffisent à développer l’auto-compassion à long terme.