La science de la passion appliquée aux coureurs

Durant mon parcours doctoral, j’ai eu la chance de travailler avec le professeur Robert Vallerand. Tu ne le connais sûrement pas, mais il a créé une des théories les plus populaires en psychologie de la motivation: la théorie de la passion.

Le modèle dualiste de la passion

Le Dr Vallerand décrit la passion comme:

  • Une activité importante

  • que nous aimons

  • dans laquelle nous investissons beaucoup de temps et d’énergie

  • et qui nous définit (je ne fais pas seulement de la course à pied, je suis un coureur)

  • On peut être passionné par n’importe quoi: un sport, un métier, une personne et même notre couple.

Selon cette théorie, il y a deux types de passion:

  1. La passion obsessive
    C’est l’engagement rigide : lorsque tu perds le contrôle sur ton activité. Cette tendance à ressentir un besoin urgent de t’engager dans ton activité ou d’y penser incessamment.

  2. La passion harmonieuse
    C’est l’engagement flexible : ta passion s’imbrique bien dans ta vie, tu as librement choisi de t’investir, sans pression ou obligation. En gros, tu parviens à garder le contrôle.

Des centaines d’études ont étudié la passion et globalement la recherche est catégorique:

  • La passion harmonieuse est associée à des conséquences positives comme le bien-être physique et psychologique, la vitalité, les émotions positives, la créativité, l’attention et la performance.

  • La passion obsessive mène à des conséquences négatives comme un faible bien-être physique et psychologique, des émotions négatives, le burnout, des conflits psychologiques internes ou interpersonnels.

Le coureur obsessif

Raphaël court depuis 3 ans, 7 jours sur 7, mais son problème, c’est qu’il fait toujours passer la course avant les autres domaines de sa vie. Par exemple quand il est au boulot, il ne peut pas s’empêcher de penser à l’entrainement qui l’attend qui s’en vient, et il peut passer des heures sur les forums de course à pied.

Quand il est avec sa conjointe, il ressent souvent un besoin urgent de vérifier qu’il n’a pas reçu un nouveau Kudos sur Strava et le pire dans tout ça c’est qu’il s’en veut. En fait il pense constamment à la course.

Raphaël a aussi une motivation bâtie sur l’égo, c’est-à-dire qu’il court pour que les autres le respectent et reconnaissent sa valeur personnelle.

Mais depuis quelque temps, Raphaël prend de moins en moins de plaisir à l’entrainement, il ne se trouve jamais assez bon et se demande même s’il devrait continuer à courir.

Le coureur harmonieux

Louis court depuis 5 ans et suit lui aussi un entrainement exigeant, mais lorsqu’il en a fini avec la course c’est terminé, et il passe à autre chose. Louis aime prendre son lundi pour se reposer, car il apprécie passer du temps avec sa famille et faire d’autres activités. Louis a d’ailleurs plusieurs passions, il aime bricoler et lire et lorsqu’il ne court pas, Louis pense rarement à la course, car il court d’abord pour lui et il a confiance qu’il va progresser avec le temps et l’effort.

La passion n’est pas binaire

Cette théorie présente deux types de passion bien distincts, mais dans les faits, les passions obsessives et harmonieuses coexistent au sein d’une même personne (voir graphique).

De plus, notre profil de passion peut varier:

  • Selon l’activité: je peux être obsessif en course à pied, mais harmonieux au travail.

  • Selon la période, par exemple un athlète peut devenir plus obsessif après une période de blessure ou en période de compétition.

Quand j’accompagne un athlète, je commence donc toujours par évaluer son profil motivationnel. Comme le montre les graphiques ci-dessus, chaque personne à un profil unique!

Pourquoi certains sont obsessifs et d’autres harmonieux ?

Une étude menée en 2017 a recruté 648 participants (athlètes, musiciens …).

L’hypothèse des chercheurs était que la passion obsessive se développerait en réponse à des besoins psychologiques frustrés.

Que sont ces 3 besoins psychologiques ?

La théorie la plus populaire en science de la motivation postule l’existence de trois besoins psychologiques innés chez l’humain (autonomie, compétence, et affiliation). La satisfaction de ces 3 besoins mène au fonctionnement optimal (bien-être, motivation de qualité, vitalité, performance, etc.) alors que la non-satisfaction mène à des problèmes de santé mentale, une motivation extrinsèque, burnout, etc…

  • Autonomie : le sentiment que tu es à l’origine de tes comportements, par exemple tu te sens libre de courir.

  • Compétence : lorsque tu atteins tes objectifs, que tu te sens progresser ou que tu fais un nouveau PB.

  • Affiliation : le sentiment d’être reconnu et respecté par les autres et d’être un membre valorisé de ton groupe.

Pour revenir à notre étude, voici ce que les chercheurs ont trouvé :

Les participants qui avaient des besoins frustrés dans leur vie en général, étaient plus enclins à développer une passion obsessive.

Pour faire simple, un coureur qui ne se sent pas en contrôle sur sa vie, ni compétent ou connecté aux autres sera plus à risque de s’investir obsessivement en course à pied, comme s’il cherchait à compenser un déséquilibre.

La morale de cette histoire ? Un coureur ne pourra pas développer une passion totalement harmonieuse en course à pied s’il n’est pas pleinement épanoui dans sa vie.

Les passionnés obsessifs peuvent réussir, mais …

Mais alors comment expliquer toutes ces personnes hautement qualifiées qui sembler réussir malgré une passion obsessive ?

Une étude réalisée en 2017 s’est justement demandée si ces deux types de passion pouvaient toutes deux mener à la performance. Pour vérifier cette hypothèse, 770 joueurs de soccer ont rempli des questionnaires en ligne.

Qu’ont découvert les chercheurs ?

La passion obsessive et la passion harmonieuse sont toutes deux associées à la performance.

L’explication est simple, le fait d’être passionné mène les athlètes à utiliser la pratique délibérée, qui est un genre de pratique qui nécessite une attention soutenue dans le but d'améliorer nos performances.

MAIS … les résultats démontraient également que dans le cas de la passion obsessive, la performance se payait au détriment du bien-être psychologique.

Concrètement, seuls les athlètes harmonieux sont en mesure d’allier performance et bien-être.

Passion et burnout

Le burnout sportif est un syndrome qui touche de plus en plus d’athlètes. Il correspond à l’épuisement physique et psychologique, mais aussi à la démotivation et à un faible sentiment d’accomplissement.

En 2020, nous avons publié une étude dans Psychology of Sport and Exercise pour tester si le type de passion était associé au burnout sportif

566 athlètes ont répondu à des questionnaires en ligne, et voici ce qu’il devait faire:

  1. Nommer deux activités passionnantes (leur sport et une autre activité).

  2. Répondre aux échelles sur le type de passion pour les 2 activités (harmonieuse vs obsessive).

  3. Répondre à une échelle qui mesurait les conflits vécus entre le sport et les autres sphères de vie. Par exemple : “La course à pied rentre en conflit avec les autres activités de ma vie”.

  4. Répondre à une échelle qui mesurait le burnout sportif.

Les résultats sont fascinants :

  • La passion obsessive pour le sport mène le burnout par le biais des conflits. Imaginez un athlète qui ne pourrait s’empêcher de regarder son Strava toutes les 10 minutes pendant une soirée romantique avec sa conjointe.

  • La passion harmonieuse dans une seconde activité (par exemple le bricolage) protège les athlètes du burnout.

  • Mais la découverte la plus surprenante démontrait que le volume d’entrainement n’était pas associé au burnout.

    • Le burnout sportif serait donc plus lié à notre type de passion plutôt qu’à notre charge d’entrainement, surprenant n'est-ce pas ?

  • Voir le modèle complet (pour les scientifiques seulement!)

Peut-on changer sa passion ?

La science de la motivation semble pencher pour le oui. Notre entourage joue un rôle crucial sur notre motivation. Et bien qu’il soit difficile de directement agir sur celui-ci, nous avons le pouvoir d’interpréter ces signaux de façon plus ou moins positive.

Imaginez par exemple que votre entraineur vous critique ou pire, vous ignore à la fin d’une course décevante. Vous avez la possibilité d’interpréter ce comportement de façon positive (il est surement déçu et se sent menacé dans sa qualité d’entraîneur), ou de façon négative (il ne m’aime pas, je suis trop nul).

Votre interprétation aura pour conséquence de favoriser une passion obsessive, soit harmonieuse.

Dans un prochain article, je vous expliquerai les erreurs classiques à éviter pour avoir une motivation de qualité et performer sereinement.

Si maintenant tu comprends l’importance de travailler sur ta motivation, sache que je propose des bilans motivationnels qui te permettront: (1) de prendre conscience de ton type de motivation (2) de changer progressivement vers un style harmonieux.

Le plan que je suis avec mes athlètes:

  1. Comprendre l’athlète
    La première étape consiste à discuter avec l’athlète. Le but est de comprendre ses motivations profondes. Est-il conscient de son engagement rigide ? A-t-il déjà essayé de travailler dessus ? En souffre-t-il ?

  2. Découvrir le besoin caché
    Lorsque l’athlète devient conscient de ses motivations, il faut comprendre à quel besoin son engagement répond. Bien souvent, les athlètes avec une forte passion obsessive cherchent à exister dans les yeux des autres.

  3. Les pensées irrationnelles
    Ensuite il faut s’attaquer aux pensées irrationnelles. Un exemple classique étant : “Si je ne suis pas le meilleur, les autres ne s’intéresseront plus à moi”.

  4. Devenir plus harmonieux
    La dernière étape consiste à transférer ces changements mentaux en comportements concrets. Le but à terme étant que l’athlète devienne plus harmonieux.

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