Les coureurs croient trop au talent

Notre société a une fascination pour le talent. Nous rêvons tous d’être dotés d’un don qui nous rend spécial. Dès le plus jeune âge, nous avons la certitude que l’intelligence est une prédisposition héréditaire qu’il nous sera impossible de changer. D’ailleurs quand nous étions jeunes, quelle fierté de raconter comment nous avions obtenu cette excellente note sans travailler!

Nous croyons en la « bosse des maths » qui veut que certains seraient naturellement doués pour compter, calculer, alors que d’autres seraient plutôt des littéraires. Et nous pensons que certains chanceux ont un don extraordinaire pour le sport dès la naissance. En résumé une partie de nous rêve d’être un super-héro.

Tout ce qui est rare est précieux. Tous ceux qui s’en emparent dont des envieux.
— Serge Zeller

Une histoire de croyance

Carol Dweck est une chercheuse américaine qui a fait beaucoup parler pour sa théorie implicite de l’intelligence.

Cette théorie explique qu’il existe deux types de mindset (état d’esprit) :

Le fixed mindset 

Croyance que nous naissons avec une personnalité, un niveau d’intelligence, et des capacités mentales et physiques fixes, et il n’y a pas grand-chose que nous pouvons faire pour changer ça.

Le growth mindset

Croyance qu’il est possible de changer significativement ces caractéristiques avec de la persévérance et des efforts.

Le growth mindset repose sur l’idée que le corps humain est une machine évolutive (cerveau, muscles, microbiote, etc.). Un des arguments forts du growth mindset c’est la découverte de la plasticité cérébrale en 1998, qui est la capacité du cerveau à remodeler ses connexions en fonction des expériences que nous vivons.

Une étude convaincante

Une étude menée en 2017 sur 373 enfants a essayé de voir si le type de mindset pouvait peut prédire les habiletés en mathématiques 1 an et demi plus tard.

Les résultats sont sans appel: après 1 an et demi, les enfants ayant davantage un growth mindset ont vu leurs notes en mathématique considérablement augmenté alors que les enfants avec un fixed mindset ont en moyenne stagné.

Pourquoi ?

Selon les auteurs, les enfants qui pensent que l’intelligence est malléable (growth mindset):

  • Se fixent des buts de maîtrise (je veux apprendre cette habilité) plutôt que des buts de performance (je veux être meilleur que les autres).

  • Ils ont des croyances plus positives vis-à-vis de l'effort et en cas d’échec ils ne remettent pas leurs capacités en cause (si je n’y arrive pas ce que je n’ai pas essayé assez fort).

  • Finalement, les enfants avec un growth mindset ont tendance à voir leur échec comme un défi et sont donc plus susceptibles de préserver quand les choses se compliquent

Implication chez les coureurs

Les croyances en lien avec le fixed mindset sont omniprésentes dans le sport dont la course à pied.

Si vous êtes curieux de connaitre votre type de mindset, je vous invite à répondre aux questions suivantes. Quels que soient les résultats, pas de panique, il est possible de changer votre mindset.

Concrètement, le fixed mindset:

  • Mène certains coureurs à penser qu’ils n’ont pas le corps idéal pour réussir : « Mes mollets sont trop gros », « Mes jambes trop courtes »,

  • Alors que d’autres sont convaincus qu’il n’ont pas la bonne personnalité pour s’entraîner ou compétitionner « Je ne suis pas assez tough », « Je ne suis pas assez motivé »

Et ces croyances limitantes touchent autant les athlètes élites qu’amateurs.

  • Les coureurs avec un fixed mindset cherchent avant tout à se rassurer sur leur valeur:

    • Dans le cas d’une bonne course, d’un bon entrainement, ils se montreront motivés et voudront persister à s’entrainer,

    • Mais dans le cas d’une course loupée ou d’un retour de blessure, cela peut induire une baisse de motivation, une remise en question de sa valeur, voire générer de la honte.

  • Au contraire, les coureurs avec un growth mindset cherchent à apprendre et à s’améliorer, peu importe le résultat.

    • Bonne ou mauvaise course, ils perçoivent les situations comme des défis stimulants, restent motivés, se fixent des buts à long terme et persistent avec la certitude de pouvoir s’améliorer.

Je ne peux pas être bon, mes mollets sont trop gros

En 2017, une étude a « démontré » que la taille des mollets était associée à l’économie de course. L’économie de course étant le coût en énergie nécessaire pour parcourir une distance donnée, qui est un important prédicteur de la performance. Ainsi, les coureurs ayant de plus « gros » mollets dépenseraient plus d’énergie et auraient donc un désavantage.

L’idée ici n’est pas de nier l’intérêt ou la fiabilité de ce type d’étude.

Le problème c’est l’effet que ces conclusions peuvent avoir sur certains athlètes.

Et dans ce cas, un athlète avec un fixed mindset et de « gros » mollets pourra utiliser cette étude pour justifier un possible désavantage biologique. Alors qu’un athlète avec un growth mindset se dira “Cette étude est intéressante, mais je vais mettre autant d’effort que d’habitude et je verrai bien si cela est vrai”.

En d’autres mots, un athlète avec un fixed mindset peut facilement tomber dans la prophétie autoréalisatrice.

1️⃣ Vous pensez que vous ne pouvez pas changer vos habiletés en course à pied (fixed mindset)

2️⃣ Une étude démontre que les gros mollets sont un désavantage.

3️⃣ Vous avez des mollets plus développés que la moyenne.

4️⃣ Vous internalisez que vous n’êtes pas fait pour la course.

Peut-on avoir les deux mindset ?

Mon travail avec les athlètes m’a montré qu’ils possèdent souvent les deux types de mindset.

Un athlète avec les 2 mindset pense que la génétique a certes un effet sur ses capacités et ses performances, mais qu’il est possible de considérablement changer notre physiologie et notre psychologie avec de l’entrainement.

Les graphiques plus bas reflètent les profils d’athlètes que j’ai testé :

  • L’athlète A possède principalement un growth mindset et très peu de fixed mindset

  • L’athlète B possède les deux types de mindset dans des proportions similaires.

En théorie, l’athlète A aura donc tendance à démontrer une motivation plus stable, une meilleure capacité à rebondir d’un échec, plus de persévérance et de façon générale plus de succès à long terme.

C’est ce que semble démontrer la réalité du terrain.

Le combo des champions

Selon moi, les grands champions ont besoin de combiner à la fois des habiletés naturelles élevées et un « growth mindset ».

Bien que ce type d’athlète soit rare, le coureur franco-suisse Julien Wanders semble avoir le profil idéal. À seulement 24 ans, Julien détient les records d’Europe de 10k (27min13) et de semi-marathon (59min13).

Il est un exemple inspirant de « growth mindset ». D’abord parce qu’il fait partie des rares athlètes européens à être parti s’installer en Afrique, au Kenya pour s’y entraîner toute l’année.

Mais encore plus intéressant, Julien Wanders ne croit pas à la supériorité génétique des Africains.

Toutefois, souvent, parce qu’ils sont naturellement doués, les champions ont reçu beaucoup de compliments sur leur talent naturel dès le plus jeune âge. Malheureusement, cela peut les amener à développer un état d’esprit basé sur le talent (fixed) plutôt que sur l’effort (growth). Il semble cependant que ce ne soit pas le cas de Julien.

Comment persévérer et rebondir de nos échecs quand on nous a répété toute notre vie que l’on était doué, et spécial ? Si notre identité est basée sur un supposé don, qui sommes-nous et quelle valeur avons-nous le jour où nous échouons ?

Que faire si on a un fixed mindset

  1. Prendre conscience :

  2. Tout s’apprend !

    • Votre cerveau s’adapte, votre personnalité évolue, vos muscles se transforment. Savez-vous qu’il existe plusieurs types de fibres (rapide, lentes), plus ou moins adaptées à certaines épreuves ? Bien que nous naissons avec un ratio de fibres donnée, des études ont démontré que l’entrainement prolongé pouvait changer ces proportions.

  3. Valoriser la pratique :

    • Comprendre que toute compétence demande des années de pratique. Cela est particulièrement vrai dans le sport.

  4. Changer son langage :

    • Arrêtons de parler de talent ou d’un « athlète talentueux » quand celui-ci a travaillé pendant des années. Le fait qu’un athlète connaisse un certain succès ne signifie pas nécessairement qu’il soit doué, mais plutôt qu’il a trouvé une recette qui fonctionne.

  5. L’échec est une opportunité :

    • Il est fréquent chez les athlètes de redouter la compétition. Peur de l’échec, peur de se décevoir ou de décevoir les autres. Il faut apprendre à voir la compétition comme un test et une occasion de pratiquer nos habilités (mentales, tactiques, etc.).

  6. Tout effort finit toujours par payer

    • L’effort et l’entrainement intelligent finissent toujours par payer. Si nos progrès ne sont pas à la hauteur de nos espérances, cela ne signifie pas que nous n’avons pas les capacités intrinsèques. Il y a beaucoup d’autres facteurs à considérer avant.

Conclusion

La volonté d’être doué est répandue. Cela peut amener de la fierté et de la sécurité. Pourtant comme j’ai tenté de vous le démontrer, cette mentalité est à double tranchant.

Ce qu’il faut retenir, c’est que cette théorie ne s’intéresse pas au débat acquis vs inné. On ne cherche pas à savoir dans quelles proportions votre génétique vous aidera à mieux courir ou non.

C’est plutôt le faire de croire ou de moins croire ou talent qui va influencer votre façon de pratiquer votre sport

En résumé, si vous pensez que vos habiletés sont en grande partie fixées à la naissance:

  • Vous ne serez pas motivé à persévérer : « À quoi bon si je n’ai pas de talent. »

  • L’effort vous découragera et peut mène devenir pénible. Il devient en fait la preuve que vous n’êtes (supposément) pas doué.

  • Vous vous fixerez des limites très rapidement : « Pourquoi rêver si je suis limité. »

  • Vous verrez l’échec comme la confirmation que vous n’êtes pas doué.

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